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Le rôle de la Francophonie au sein de l'initiative Inspecteurs des Impôts sans Frontières

 

par Camille TIRAND - Conseiller Fiscal, Secrétariat IISF
25 juillet 2024 

 

Comme le modèle « Médecins Sans Frontières » dont elle est inspirée, l’initiative « Inspecteurs des impôts sans frontières » (IISF) a pour vocation d’apporter une aide aux pays en développement. Plutôt que d’apporter une aide médicale, elle vise principalement à favoriser un transfert de connaissances et de compétences en matière de contrôle fiscal aux administrations fiscales des pays en développement et d’améliorer leur capacité à taxer efficacement les entreprises multinationales (EMN) pour mobiliser leurs ressources domestiques. 

 

Cette initiative conjointe de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) lancée à Addis-Abeba lors de la troisième Conférence internationale sur le financement du développement, et dont le Secrétariat est établi à Paris depuis ses débuts, est un instrument unique de mobilisation des recettes fiscales au service du développement, dont les résultats parlent d’eux-mêmes. Au-delà des effets sur les recettes des pays en développement bénéficiaires, qui en font certainement l'une des initiatives d'aide au développement les plus rentables, sa réussite tient au transfert de compétences, de connaissances et de savoir-faire en matière de contrôle fiscal qui s’opère au fil des programmes entre inspecteurs des impôts expérimentés (les experts IISF) et inspecteurs locaux en quête d’acquérir de nouvelles aptitudes pour exercer au mieux leurs responsabilités. L’usage d’une langue de travail commune est privilégié dans le cadre des programmes, d’où la pertinence de la langue française pour les programmes menés à bien dans des pays francophones. 

 

Les administrations fiscales d’expression française occupent une place importante au sein de l’initiative IISF, à la fois en tant que fournisseurs d’experts et bénéficiaires de programmes IISF. Dans le cadre de l’initiative IISF, ces inspecteurs des impôts chevronnés sont mis à disposition par des administrations fiscales partenaires, parmi lesquelles figurent la Belgique, le Canada, la France, et le Maroc, et travaillent aux côtés des vérificateurs fiscaux des pays en développement sur des contrôles complexes d’EMN. À l’aune du 10ème anniversaire de l’initiative IISF, force est de constater que la francophonie a joué un rôle important dans l’établissement de partenariats fructueux qui stimulent la mobilisation des recettes intérieures dans les pays en développement de la Francophonie. 

 

Les avantages d’une langue commune pour IISF 

 

L’approche fondée sur l’apprentissage par la pratique – au cœur de l’initiative IISFfavorise un ancrage plus solide et plus durable de l’expertise en matière fiscale au sein des administrations fiscales de pays en développement, et vient compléter des formes plus conventionnelles de renforcement des capacités. Le dispositif de l’initiative IISF reposant sur l’accompagnement en temps réel de vérificateurs, une communication fluide et efficace est nécessaire et utile au bon déroulement d’un programme. 

 

L’usage d’une langue commune permet aux acteurs de l’initiative de travailler ensemble plus efficacement, main dans la main, sur des dossiers concrets. La pratique d’une langue de travail commune est donc préférable, aussi pour éliminer les coûts liés à l’interprétation simultanée et la traduction de nombreux documents. Les relations humaines sont souvent fondamentales pour la réussite des programmes ; alors le partage d’une même langue peut aider à la mise en place d’une relation de confiance et améliorer la qualité des échanges en les rendant aussi plus dynamiques. 

 

De manière générale, les expériences apportées par les programmes IISF sont profitables non seulement aux vérificateurs locaux, mais aussi aux experts IISF du fait de la nature collaborative de l’approche IISF, qui met l’accent sur l’apprentissage par les pairs. Les échanges peuvent être enrichissants car ils permettent d’élargir le champ de vision des experts et de les confronter à des réalités et des défis particuliers, dans un environnement différent et avec des outils parfois plus limités.  

 

Des partenariats qui font briller la Francophonie 

 

Depuis la création de l’initiative, les demandes d’assistance IISF formulées par les pays en développement n’ont cessé de croître. On compte une vingtaine de pays d’Afrique francophone ayant sollicité à ce jour une assistance technique IISF en matière de vérification fiscale d’EMN. 

 

Pour répondre aux besoins d’assistance technique, l’initiative IISF peut compter sur l’expertise, les compétences, et le savoir-faire de vérificateurs fiscaux francophones mis à disposition par ses administrations fiscales partenaires, qui rendent possible la mise en œuvre des programmes IISF. Elle peut également avoir recours à des experts sectoriels issus du vivier d’experts géré par le PNUD. Le rôle du Secrétariat est à la fois d’analyser les demandes d’assistance dans le but de définir de manière approfondie les besoins d’assistance technique et de prendre en charge la mise en relation des pays bénéficiaires avec les différents partenaires, ce qui nécessite une bonne compréhension du contexte dans lequel la demande est effectuée et une consultation de toutes les parties prenantes. 

 

La francophonie est donc mise à l’honneur aussi car plusieurs administrations fiscales d’expression française sont devenues des contributeurs actifs à l’initiative IISF, fructifiant ainsi des partenariats autour d’une langue de travail commune. 

 

La France figure parmi les pays francophones partenaires qui contribuent le plus à la réussite des programmes IISF. La Direction générale des Finances publiques (DGFiP) de la France a participé de manière effective à la mise en œuvre d’une dizaine de programmes IISF sollicités par des pays en développement francophones, parmi lesquels le Bénin, le Cameroun, le Congo, le Mali, la République centrafricaine, le Sénégal, le Tchad et le Togo. 

 

D’autres administrations partenaires francophones mettent également à disposition de l’initiative IISF certains de leurs experts les plus compétents, telles l’Agence du Revenu du Canada (ARC) et le Service Public Fédéral (SPF) Finances de la Belgique.  

 

L’accent est également mis sur la coopération fiscale Sud-Sud entre pays francophones dans le cadre de l’initiative IISF. En effet, la Direction Générale des Impôts (DGI) du Maroc fournit depuis plusieurs années des experts dotés d’une expérience particulièrement intéressante pour répondre au besoin de renforcement de capacités de pays francophones, comme le Cameroun et le Sénégal, avec lesquels des programmes IISF ont vu le jour. 

 

La coopération entre des pays d’une même région et confrontés à des défis similaires permet effectivement d’accroitre davantage l’efficacité des efforts de renforcement des capacités déployés au titre de l’initiative IISF. Si la fiscalité internationale repose manifestement sur des principes communs, on observe également des similarités régionales dans les règles de procédure qui sous-tendent le contrôle des EMN, rendant plus efficace l’apprentissage par la pratique de ces techniques. En mettant en relation des pays francophones du Sud, l’initiative IISF contribue à la diffusion de bonnes pratiques en matière de vérification fiscale et favorise tant que possible l’harmonisation des pratiques fiscales au sein d’une même région ou sous-région. Les partenariats Sud-Sud peuvent mener au partage de solutions inédites à des problèmes communs. 

 

Les perspectives de partenariat rendus possibles par l’initiative IISF contribuent à une plus grande coopération fiscale internationale pour les pays participants. Un même pays peut bénéficier d’une assistance sur mesure selon ses capacités au moment de formuler une demande auprès du Secrétariat IISF. Le renforcement des capacités s’opère de manière progressive, parfois par le biais de plusieurs programmes de type différent ou visant des secteurs différents, comme l’illustre l’expérience du Sénégal. La Direction Générale des Impôts et des Domaines (DGID) du Sénégal a bénéficié de trois programmes IISF, les deux premiers soutenus par la France et le troisième par le Maroc. Le premier programme s’est déroulé entre décembre 2014 et décembre 2015. Pendant cette période, un expert de la DGFiP a collaboré avec des agents sénégalais sur plusieurs dossiers dans les secteurs du transport et de l’agriculture qui ont permis au Sénégal de percevoir un surcroît de recettes fiscales de 18.6 millions USD en 2015 (provenant de redressements et de majorations). Le second programme commencé en 2017 portait cette fois sur des vérifications dans les secteurs pétrolier, gazier et minier. Mené à terme en 2019, ce programme a conduit à des redressements liés à des problématiques de prix de transfert se chiffrant à 30 millions USD. La réussite de ces deux premières expériences IISF ont amené le Sénégal à solliciter un troisième programme à orientation sectorielle, à savoir les secteurs des télécommunications, de la banque et de l’assurance. Au-delà de l’impact sur la mobilisation des ressources fiscales intérieures au Sénégal, l’ensemble des programmes a permis aux équipes de la DGID de monter en compétences et de renforcer leurs connaissances dans plusieurs secteurs. 

 

Les experts IISF ne sont pas destinés à se substituer aux vérificateurs locaux. Leur rôle est au contraire de les accompagner dans l’appréhension de problématiques complexes du domaine de la fiscalité internationale (telles que les problématiques de prix de transfert). Outre le fait que lexpert IISF doive être qualifié et expérimenté, il doit généralement connaître le secteur d’activité soumis à la vérification (banques et assurances, industries extractives, télécommunication, etc.). Par exemple, la Direction Nationale des Impôts (DNI) de Guinée bénéficie d’une expertise technique fournie par l’Agence du Revenu du Canada (ARC) en matière de contrôle des activités extractives, en tirant profit de son expérience avérée dans l’appréhension des problématiques propres à ce secteur. 

 

Une plateforme au service du développement 

 

L’initiative IISF fait office de plateforme au service de la coopération et de l’établissement de partenariats à l’échelle internationale. Les programmes IISF représentent dans ce contexte des opportunités de collaboration rassemblant plusieurs organisations internationales et régionales disposant de ressources francophones. Un programme IISF peut venir s’appuyer sur d’autres activités de renforcement des capacités ayant été mises en œuvre auparavant par l’OCDE, le PNUD, ou d’autres organisations internationales/régionales. 

 

La présence et le soutien de partenaires stratégiques comme le Forum sur l’Administration Fiscale Africaine (ATAF) en Afrique est notable, les succès observés en Afrique étant en grande partie le fruit d’un travail mené en étroite collaboration avec l’ATAF. Les programmes IISF en Afrique peuvent ainsi compléter d’autres activités plus largement menées par l’ATAF auprès d’un de ses pays membres. Le Cercle de Réflexion et d’Échange des Dirigeants des Administrations fiscales (CREDAF) soutient aussi activement les programmes francophones et lorsque leurs pays membres signalent des besoins en matière d’assistance technique, l’information peut être transmise par la suite au Secrétariat IISF. Le Forum intergouvernemental sur l'exploitation minière, les minéraux, les métaux et le développement durable (IGF) est en mesure d’apporter une expertise très spécifique à certains programmes. 

 

La présence de ces partenaires offre donc de nouvelles opportunités en matière de coopération internationale ainsi qu’une certaine complémentarité des différentes initiatives de renforcement des capacités en matière fiscale, y compris celles mises en œuvre par l'OCDE, dont les pays francophones peuvent bénéficier en vue d’une meilleure mobilisation de leurs ressources intérieures. Il existe ainsi plusieurs pays francophones qui ont bénéficié ou continuent de bénéficier à la fois d’une assistance de l’OCDE dans le cadre de programmes bilatéraux et de programmes IISF. 

 

Tableau : Les pays en développement francophones dans le cadre de l'initiative IISF

Tableau des pays francophones au sein de TIWB

 

Conclusion 

L’assistance technique fournie aux pays en développement francophones dans le cadre de l’initiative IISF s’est concentrée à ce jour majoritairement sur les vérifications fiscales des EMN et on peut s’attendre à ce qu’elle soit étendue à de nouveaux domaines tels les enquêtes en matière de délinquance fiscale et l’utilisation des renseignements échangés automatiquement entre les administrations fiscales dans lesquels lesdits pays ont des besoins d’assistance. 

À l’avenir, dans un contexte d’expansion à la fois en ce qui concerne l’intensité et la diversité de l’assistance technique déployée, l’initiative IISF prévoit de continuer son action auprès des pays francophones. À cet égard, la participation du plus grand nombre de pays francophones à l’initiative est fondamentale pour son succès, que ce soit en tant que partenaires ou administrations d’accueil. En collaborant ensemble, nous pouvons renforcer limpact de notre assistance technique et promouvoir un développement durable et inclusif dans l'ensemble de la communauté des pays francophones. 

 


 

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