Inspecteurs des impôts sans frontières à l’appui des administrations fiscales dans leur développement technologique
par Dr. Amna Khalifa - Chef de projet, Secrétariat IISF
2 mai 2022
La crise du COVID-19 a mis en lumière notre vulnérabilité collective, dès lors qu’un seul maillon faible vient mettre en péril la santé physique et économique de tous. En ce sens, tous les pays à travers le monde partagent un intérêt direct à éradiquer le virus et reconstruire leur vie économique de manière harmonisée. C’est une nécessité, qui s’impose à tous. La mobilisation des ressources intérieures, et la fiscalité en particulier, demeureront la seule source de financement viable à long terme, non seulement pour renforcer les systèmes de santé, mais aussi pour financer l’ensemble des services publics, l’investissement et la reconstruction. Compte tenu d’une marge de manœuvre budgétaire déjà très limitée, d’une charge afférente au service de la dette réduisant la capacité des États à collecter et à dépenser des recettes fiscales dont ils ne peuvent pas se passer, les efforts visant à mettre en place des systèmes fiscaux efficaces dans les pays en développement n’ont jamais été aussi importants. Ils doivent rester une priorité. Sur le plan national, il en résulte que de nombreux pays devront s’employer à accroître leur ratio impôts/PIB. En Afrique par exemple, le ratio impôts/PIB moyen s’établit aux alentours de 17 %, ce qui est faible comparé à la moyenne de 34 % observée dans les pays de l’OCDE (OCDE/ATAF/CUA, 2021[1]). Il faudra notamment consentir des efforts important afin de développer une économie plus formelle, et intégrer une plus grande part des populations dans les systèmes fiscaux et de protection sociale. Cela pourrait, par exemple, être accompli en intensifiant l’utilisation des impôts fonciers et des taxes carbones, ainsi qu’en améliorant l’efficacité de l’impôt sur le revenu des personnes physiques et notamment celui des plus riches. Ces outils, sous-utilisés dans de nombreux pays, permettront d’élargir l’assiette d’imposition, obligeant les gouvernements à redéfinir le contrat social et budgétaire qui les lie à leurs citoyens de manière plus juste.
La crise actuelle offre également l’occasion d’évaluer les évolutions qui pourraient servir les administrations fiscales. L’appropriation progressive des technologies numériques aux fins du recouvrement induit une efficience globale accrue des systèmes fiscaux et permet l’accroissement des recettes. Elle pourrait donc constituer l’un des domaines dans lesquels l’apprentissage entre pays devrait être accéléré. L’exemple des pays possédant des capacités assez faibles (comme le Liberia) laisse à penser qu’investir dans les capacités numériques de l’administration fiscale permettrait changer la donne de manière significative[2].
Nous avons constaté que le délai de réaction des pays face aux défis soulevés par la pandémie était largement fonction de leur degré de maîtrise de l’utilisation de ces technologies. Les administrations fiscales plus avancées sur le plan technologique ont été en mesure de mieux répondre aux problématiques du télétravail, du remplacement des communications physiques et papier par des moyens virtuels ou numériques, et ainsi ont accru le respect des obligations fiscales par les contribuables.
À l’avenir, l’expansion rapide du commerce électronique continuera d’avoir des conséquences importantes sur les systèmes fiscaux, à mesure que les outils numériques et les progrès technologiques prennent une place de plus en plus essentielle dans nos vies. La multiplication des paiements scripturaux, par l’intermédiaire des téléphones mobiles et d’autres appareils, des caisses-enregistreuses électroniques, de places de marché virtuelles et d’autres sources numériques, donnera lieu à une production massive de données. Ces données doivent être traitées et analysées au moyen de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique, pour permettre le recoupement des informations et la gestion des risques de conformité. Les administrations fiscales devront pour ce faire réinventer leurs modèles de fonctionnement et accélérer leur transition numérique pour trouver des moyens plus efficaces d’accroître les recettes, d’améliorer la transparence et de faciliter la mise en place de réformes fiscales réussies et durables, pour se trouver plus résilientes face aux chocs à venir.
La transition numérique s’accompagne toutefois de son lot de défis et de complexités pour les pays. Elle nécessite de définir des plans de transformation stratégiques, de mettre en place une gestion du changement permettant d’adopter une nouvelle façon de coopérer avec les contribuables, de s’adapter aux nouvelles technologies. Les administrations fiscales devront s’assurer qu’elle dispose de ressources suffisantes afin de s’engager dans cette voie. La complexité des questions soulevées par la transformation numérique et les capacités requises à cet égard nécessitent des conseils et des orientations plus approfondis, et la meilleure façon d’y parvenir passe le plus souvent par l’instauration d’une coopération entre pairs. Pour obtenir des résultats positifs en matière de transformation numérique, il est essentiel que les administrations fiscales collaborent et entretiennent des contacts étroits dans le but de partager leurs expériences. Plus le nombre des administrations fiscales qui s’engagent dans une démarche de transition numérique augmente, plus la nécessité de nouer des partenariats et d’établir des contacts se fera sentir. Bien que les administrations fiscales doivent relever les défis soulevés par la transformation numérique à la lumière de leurs propres besoins, le fait de tirer profit de l’expérience d’autres administrations peut considérablement faciliter leur propre parcours.
Inspecteurs des impôts sans frontières (IISF), une initiative conjointe de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), a beaucoup progressé depuis son lancement en 2015 pour aider les pays en développement à mobiliser leurs ressources intérieures au service du financement du développement. Au vu des résultats obtenus, il est établi qu’il est possible d’appliquer avec succès l’approche pratique et ciblée de l’Initiative IISF à de nombreux sujets fiscaux.
L’Initiative IISF offre aujourd’hui un cadre éprouvé et solidement établi qui permet d’apporter, en toute confidentialité, aux hauts responsables des administrations fiscales des pays en développement, un soutien entre pairs sur les défis stratégiques qu’ils devront relever lorsqu’ils s’engageront dans leur démarche de transformation numérique. Ce soutien sera axé sur la fourniture de conseils concernant les décisions clés dans la formulation de stratégies ou la conduite de projets de transformation numérique. Les pays pourront ainsi éviter les écueils des stratégies non-durables, ou qui ne sont pas mis en œuvre de manière fluide et dans le respect des échéances fixées, et/ou qui ne permettent pas de tirer le meilleur profit des ressources disponibles. Parmi les domaines possibles figurent les questions stratégiques et de gouvernance de haut niveau, la gestion générale du changement et la gestion de projet, ainsi qu’un soutien concret sur des projets spécifiques, comme le montre le graphique ci-après. |
Source: Secrétariat du FAI |
Ce soutien est totalement compatible avec les autres domaines d’assistance de l’Initiative IISF, qui portent entre autres sur les vérifications fiscales, l’utilisation effective des renseignements échangés automatiquement et les enquêtes en matière de délinquance fiscale. Grâce à la transformation numérique, les administrations fiscales pourront améliorer la collecte et l’interprétation des données, y compris des données reçues dans le cadre de l’échange automatique de renseignements, ce qui permettra de mieux évaluer les risques afin d’identifier les cas de délinquance fiscale et de vérifier la conformité des contribuables en matière de prix de transfert.
Le soutien apporté par l’Initiative IISF aux administrations fiscales dans le domaine de la transformation numérique viendra compléter les efforts déployés par d’autres partenaires au développement comme le Groupe de la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Alors que l’assistance fournie aux pays partenaires par les organismes de développement international vise prioritairement à accompagner la transformation numérique des administrations fiscales, celles-ci doivent reconnaître que leur impact est plus important lorsque l’aide publique au développement est coordonnée, harmonisée et tire parti des avantages comparatifs de chaque organisation.
Les prochaines étapes de l’Initiative IISF en matière de digitalisation des administrations fiscales consisteront en l’exécution de programmes pilotes. Il s’agira de recenser les pays en développement qui nécessitent une assistance, afin de les mettre en relation avec des administrations fiscales disposant de l’expérience requise pour fournir ce soutien stratégique. Cela passera aussi par la définition des domaines et des types d’assistance à fournir, qui seront formalisés au moyen de termes de référence encadrant la confidentialité, les limites liées à la prise de décision, et l’exclusion de responsabilité au regard des résultats obtenus. Ces programmes pilotes bénéficieront d’un plan de travail assorti d’objectifs clairs et seront probablement convertis en programmes formels si les conditions en sont rassemblées. Ce nouvel axe de travail contribuera à l’objectif plus large de l’Initiative IISF qui consiste en effet à renforcer les capacités des administrations fiscales.
[1] OCDE/ATAF/CUA (2021), Statistiques des recettes publiques en Afrique 2021, Éditions OCDE, Paris, www.oecd.org/fr/ctp/revenue-statistics-in-africa-2617653x.htm.
[2] OCDE (2020) Les réponses de politiques fiscale et budgétaire à la crise du coronavirus, Éditions OCDE, www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/les-reponses-de-politiques-fiscale-et-budgetaire-a-la-crise-du-coronavirus-accroitre-la-confiance-et-la-resilience-32128119/
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